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Emerging Valley

Episode 2 : Hend Aouini, militante, scientifique et entrepreneure

Poursuivant notre série de portraits d’académiciens, nous rencontrons cette semaine Hend Aouini, notre doctorante chercheure en biologie marine. Issue du monde de la recherche, Hend a récemment réalisé qu’elle avait le potentiel, en plus de l’envie, de se lancer dans le monde de l’entrepreneuriat. Après ses thèses et ses différents travaux, il lui est apparu évident qu’il était temps pour elle de sortir des laboratoires pour mettre ses recherches au service des femmes et de la mer. Une démarche insolite pour une mère de famille qui doit non seulement faire face à ses propres doutes mais à ceux de toute une société. Et pourtant, quel projet ! En tirant profit des propriétés de certaines algues, Hend veut lancer la production de plastiques biodégradables biosourcés qui seraient produits par les femmes des anciens pêcheurs du golf de Tunis. Impact environnemental, impact social, impact économique, c’est ce genre de projet que l’Académie soutient et est fière d’accompagner ! Rencontre avec Hend qui nous en dit plus sur le raisonnement qui l’a amené à affirmer son projet.


Parcours, passions et intuitions


Hend est une scientifique dans l’âme et s’est appliquée à suivre un cursus universitaire qui lui permettait d’allier cette passion et son attachement à la mer Méditerranée : bac S, maîtrise en biotechnologie marine, master de recherche en écologie et biologie spécialisé dans la structure des algues et leur valorisation, puis une première thèse de doctorat en écologie benthique en 2011 - avortée en raison du contexte politique, et une deuxième en 2019 sur les algues rouges… Entre ses deux thèses, Hend s’est tournée vers le business familial mais très vite, les laboratoires lui ont manqué. En commençant sa nouvelle thèse qui portait sur les propriétés de l’algue hypnea muciformis, elle a renoué avec la recherche. Accompagnée par le professeur Maître assistant à l'Institut National des sciences et technologies de la mer De Rafik Ben Saïd, elle a étudié le processus d’extraction, la valorisation et la fabrication de bioplastique à partir de cette fameuse algue, jusqu’à établir un processus d’extraction de matière première qui lui permet de produire aujourd’hui un prototype de film alimentaire en bioplastique. Un matériau qui pourrait être utilisé dans plusieurs secteurs, de l’agroalimentaire au pharmaceutique, en passant par le cosmétique.


“La valorisation des algues c’était un sujet pionnier en Tunisie quand je me suis lancée.”


En plus de ses recherches, Hend s’est toujours impliquée dans sa communauté locale. Elle est la responsable du comité scientifique de l'association de Promotion de la Culture Environnementale de la Banlieue Sud de Tunis, et fait également partie du Tunisian Youth League programme, un programme financé par USAID qui forme la jeunesse aux principes démocratiques et à la bonne gouvernance. Cet engagement citoyen va de pair avec un militantisme écologique en faveur de la protection de la mer Méditerranée, et plus particulièrement de lutte contre la pollution de la banlieue Sud. Depuis 35 ans, le golf sud de Tunis est exposé à des rejets massifs de métaux lourds, d’eaux usées et autres polluants rendant les populations gravement malades qui, malgré l’interdiction de s’y baigner depuis 2000, restent exposées à cette pollution qui ne faiblit pas.


Ces deux aspects de sa vie, son innovation bio marine et son engagement citoyen, Hend les a fusionnés dans un projet entrepreneurial.




Une révélation


L’élément déclencheur de ce projet a été un workshop de développement personnel lors duquel elle a dû se projeter dans 10 ans. C’est à ce moment-là que l’entrepreneuriat s’est imposé à elle comme une évidence. Et sans plus tarder, elle s’est lancée dans une première idéation de projet fondée sur la valorisation de l’aloe vera, pour varier des algues marines. Ce projet a grandi au point d’avoir un business plan finalisé, mais sans aller au-delà puisque Hend a réalisé qu’elle ne pouvait pas abandonner aussi facilement son attachement aux algues. En mars 2022, elle a donc revu son projet, inspirée par d’anciennes professeures de l’université qui s’étaient elles-mêmes lancées dans l’aventure entrepreneuriale, et a candidaté au programme Senior Women in Business de Beta cube. De là, tout est allé très vite, et elle a accédé à la finale du programme, a pitché son projet, et à la sortie de cette expérience, a entamé sa formation à l’Académie, qui l’a elle aussi transformée en profondeurs.


“Betacube m’a permis de faire germer une première idée et de pitcher pour la toute première fois.”


En intégrant le programme de l’Académie, Hend envisageait son projet entrepreneurial uniquement via le prisme du processus industriel. Elle comptait importer les algues d’Asie et les transformer à Tunis. Sauf qu’en rencontrant Martin Serralta, intervenant du programme, et en suivant ses exercices pour identifier sa raison d’être, elle s’est rendu compte qu’il lui fallait optimiser le sourcing de l'algue, et qu’elle souhaitait profondément faire monter en capacité les femmes tunisiennes. Son projet a alors pris une direction et une ampleur complètement différentes, beaucoup plus alignées avec ses valeurs personnelles.


“ L’Académie me donne les outils pour devenir le leader que j’aspire à être.”


Le projet


Hend souhaite constituer une coopérative qui rassemblerait des femmes du littoral méditerranéen, et plus particulièrement les femmes des pêcheurs du Golf de Tunis. Avec le ralentissement du secteur de la pêche, ces épouses qui travaillaient avant sur les marchés pour vendre les prises de leurs maris se sont progressivement retrouvées au chômage. L’idée de Hend est ainsi de ramener la mer dans leur vie, en les formant à l’algoculture, un travail simple mais qui demande une grande minutie. Cette culture d’algue locale alimenterait en matière première sa startup en biotech marine, qui serait dédiée à la production de granules de bio plastiques. Et ce savoir-faire là, Hend le maîtrise déjà, puisqu’elle produit ces granules compostables et biodégradables dans son laboratoire.


“Mes granules de bioplastiques se dégradent en un mois dans l’eau, en moins de quatre mois sur terre, et ne relâchent aucune matière toxique dans l'environnement."


Un projet de grande ampleur donc puisque d’abord fondé sur l’humain. Redonner à des femmes des perspectives d’emploi, en lien avec leurs histoires personnelles, est au centre de ce projet. C’est aussi donner aux scientifiques tunisiens l’opportunité de rester dans leur pays en leur offrant une chance de rejoindre son entreprise (plus de 3 000 docteurs sont aujourd'hui au chômage en Tunisie). Une fuite des cerveaux que Hend compte bien empêcher ! Elle envisage même de créer par la suite un laboratoire de recherche et développement où elle pourrait accueillir encore plus de chercheurs. Impact humain, impact économique, mais aussi impact environnemental bien sûr, car l’économie bleue manque cruellement de soutien en Tunisie, et qu’il est primordial de changer la donne.




L’Académie, terrain d’expérimentation


Hend a été attirée par l’Académie pour son aspect international et ses modules d'accompagnement. Comme pour Karim (retrouvez son interview portrait ici), le programme permet à Hend de tester son idée, de la confronter aux regards des autres, et à leurs expertises. Les ateliers de soft-skills proposés sont également une grande source d'inspiration et de conseils, tant au niveau professionnel que personnel. Car pour que son projet marche, il lui reste à s’affirmer comme leader d’une part, et à trouver des talents à l’international d’autre part. L’Académie l’aide en celà à se projeter dans les étapes de développement à suivre, et à faire l’état des lieux de la maturité de la région. Hend sait désormais que la Tunisie n’est pas prête pour accueillir un projet d’ampleur comme le sien : les mentalités ont la peau dure, la jeunesse n’est pas assez sensibilisée à l’économie bleue, les opportunités de financement locales sont rares… Mais elle sait aussi que ce projet est légitime, innovant, nécessaire, et qu’avec le bon entourage et la bonne stratégie, il lui sera possible de surmonter les obstacles.


“Pour moi Marseille a été comme une tornade. Tellement d’énergie, de connaissances échangées, de rencontres !”


Ce raisonnement s’est imposé à Hend au contact des intervenants et de la cohorte. L’émulation produite par les rencontres à Marseille a été à la fois bouleversante, questionnante et inspirante. Hend s’est interrogée sur sa présence parmi le groupe à de nombreuses reprises, avant de reconnaître la valeur ajoutée qu’elle y apportait. Son expertise du monde marin et sa personnalité apportent à la cohorte connaissances, cohérence et cohésion.


“Je me suis demandée ce que je faisais ici, mais aujourd'hui j'ai réalisé que j’avais de la légitimité. Je suis une scientifique, experte du monde marin, et j’ai ma place dans ce programme.”


Un tremplin


Si l'Académie a permis à Hend d’affirmer ses convictions personnelles et de développer son projet, le programme lui plait également par son côté humain. Contrairement aux autres programmes par lesquels elle est passée, l’Académie propose un cursus intéressant et intelligent, mêlant masterclass et ateliers, travaux de groupes et travaux individuels, formations professionnelles mais aussi applicables dans la vie personnelle etc… Elle espère que ce programme de qualité puisse apporter des opportunités de développement concrètes, non seulement à son projet, mais aussi au secteur de l’économie bleue. C’est avec une visibilité accrue autour de ces thématiques et d’initiatives comme la sienne, que les verrous de financement pourront enfin céder, et les mentalités changer.


C’est pour toutes ces raisons que Hend souhaite voir le programme proliférer. Elle souhaite que les membres de cette première cohorte puissent devenir des ambassadeurs porteurs de valeurs universelles, nobles et justes à travers la Méditerranée. L’aventure humaine qu’est le programme doit perdurer.


“Il est plus que temps de faire resurgir une vision humaine de la Méditerranée et du citoyen méditerranéen. Il faut leur redonner vie et respect.”


Un grand merci à Hend pour cette interview, ses nombreuses idées et attentes envers le programme.

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